Les poissons font aussi preuve de doigté

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Thèmes : évolution, développement, gènes Hox, membre chiridien

L'évolution des membres chiridiens des Tétrapodes à partir des nageoires paires (il y a environ 365 millions d'années) est un des paradigmes évolutifs les plus étudiés et les plus popularisés (même si cela donne régulièrement des expressions ridiculement finalistes dans la presse comme "les poissons qui se hissent sur la terre ferme"). On sait que les membres chiridiens ont d'abord évolué dans le milieu aquatique (chez Acanthostega par exemple) et que ce n'est que plus tard, par exaptation, que ces structures ont permis "la sortie des eaux" de certains Tétrapodes. 

Dans le détail de l'évolution des structures des membres chiridiens, il était admis que le stylopode (bras/cuisse) et le zeugopode (avant-bras/jambe) ont des structures homologues dans les nageoires paires, mais que l'autopode (poignet/cheville et doigts) était une structure néoformée chez les Tétrapodes. Le principal argument était venu de l'étude de l'expression des gènes homéotiques Hox, qui en plus de spécifier l'axe antéro-postérieur de tout l'organisme, contrôlent également l'axe proximo-distal du membre et des nageoires. Il existe chez les Tétrapodes une expression particulière de ces gènes dans la région du bourgeon de membre en développement qui va donner l'autopode, sans équivalent chez le modèle poisson habituel où cela a été étudié : le poisson-zèbre. D'où l'interprétation d'une structure nouvelle chez les Tétrapodes.


Lepisosteus oculatus

Mais des chercheurs américains/espagnols/brésiliens ont utilisé un autre modèle de poisson : Lepisosteus oculatus, un poisson d'eau douce américain dont le séquençage a montré qu'il a un génome beaucoup plus simple que celui du poisson-zèbre (pas de duplication du génome) et sans doute plus proche de l'ancêtre commun avec les Tétrapodes. Et surprise, des éléments génétiques régulateurs (enhancers) des gènes Hox de ce poisson sont capables de faire exprimer un gène rapporteur (LacZ) dans le futur autopode de souris transgéniques, ce qui n'avait jamais été réussi avec des enhancers du poisson-zèbre. Les comparaisons de séquence montrent que les enhancers du poisson-zèbre sont très dérivés par rapport à l'ensemble Tétrapode-Lepisosteus
C'est un argument pour dire que les poissons auraient des structures homologues de l'autopode dans les pièces squelettiques de leurs nageoires paires. Donc pas de nouveauté dans l'existence de l'autopode pour les Tétrapodes, même si des remaniements ont évidemment eu lieu. C'est à nouveau une leçon à méditer sur le particularisme des organismes-modèles (ici le poisson-zèbre) et les précautions qu'il faut avoir dès qu'il s'agit de généraliser à partir d'eux. 

Article original : Gehrke et al., 2015 : www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1420208112


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