Des levures et des hommes : la génétique révèle l'histoire de la domestication de la levure

Pour CAPES et Agreg
Thèmes : fermentation, biotechnologie, domestication, génétique






 La levure (Saccharomyces cerevisiae) peut être considérée comme une espèce que l'Homme a domestiquée au même titre que le blé ou la vache. Immanquablement, il en a résulté des modifications du patrimoine génétique par un processus de sélection artificielle. Et les levures étaient utilisées dans différents environnements pour faire du pain, du vin ou de la bière et donc là aussi une diversification a eu lieu.

Des chercheurs belges (évidemment...) ont séquencé 157 souches de S. cerevisiae et publié leurs résultats cette semaine dans Cell. Rappelons que la levure a été le premier génome eucaryote séquencé en 1996 mais bizarrement, une étude à aussi grande échelle avec une aussi grande variété de souche (souches naturelles, souches utilisées pour la bière, pour le vin, pour le saké, pour le pain) n'avait jamais été faite. Ils ont ainsi pu reconstituer un arbre phylogénétique des différentes souches de levures.

Source : http://www.cell.com/cell/abstract/S0092-8674(16)31071-6

L'un des apports les plus intéressants est la convergence évolutive entre deux groupes différents de souches de levure qui sont utilisés pour la production de bière. C'est comme si finalement ces levures avaient été domestiquées deux fois de manière indépendante. Le premier ensemble de souches est proche de celles utilisées pour le vin alors que l'autre ensemble en est nettement éloigné même si par convergence évolutive des gènes clés ont été modifiés de manière assez similaire : on note dans les deux cas, une amplification des gènes dont les produits sont impliqués dans le métabolisme du maltose qui est particulièrement abondant dans l'environnement où les levures à bière se retrouvent. Également, on retrouve dans tous les cas des mutations non-sens dans les gènes qui codent des enzymes aboutissant à la production de 4-vinyl-guaiacol qui a un très mauvais goût. Là, on peut voir clairement l'effet de la sélection humaine qui a écarté les souches où ces enzymes étaient fonctionnelles.

La date de domestication peut étonner : aux alentours de 1600 ap. JC. Bien sûr que l'on produisait de la bière avant mais c'est à cette époque que ce sont sont développées les premières brasseries industrielles au détriment des brasseries familiales. Ces dernières utilisaient des levures de leur environnement (sans le savoir, la compréhension de la présence de micro-organismes date du XIXè siècle (Pasteur)). Ces levures étaient nouvelles chaque année et donc il n'y avait pas de véritable lignée alors que les grandes brasseries réutilisaient les levures d'une année sur l'autre.

Autre enseignement, les levures utilisées pour la bière sont très divergentes des levures naturelles alors que celles utilisées pour le vin présentent des modifications plus limitées. Les levures de bière ont notamment perdu certains gènes qui contrôlent la reproduction sexuée alors que les levures pour le vin les ont conservés. Cela s'explique par le fait que les levures de la bière sont constamment dans un environnement artificiel alors que les levures utilisées pour le vin sont utilisées de manière plus saisonnière et passent une grande partie de l'année dans des milieux "pauvres", plus proches des conditions naturelles. Ainsi, les levures utilisées pour la bière seraient désormais incapables de survivre dans un environnement naturel.

On observe aussi l'influence des évènements historiques et des migrations/colonisations en comparant les souches de levures pour la bière. Par exemple, les levures utilisées aux USA sont très proches des levures anglaises.


A votre santé !

Un site joliment fait sur la levure, sa vie, son œuvre.

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