Des microARN provenant de plantes contrôlent les castes des abeilles

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Thème : génétique, épigénétique, insectes sociaux

Une abeille femelle peut devenir soit une ouvrière, soit une reine. On sait depuis longtemps que cela dépend de la nourriture qu'on lui donne lorsqu'elle est une larve. 
  • Si elle est nourrie uniquement de gelée royale, elle va devenir une reine; 
  • Si elle est nourrie de gelée royale (pendant seulement 3 jours) puis d'un mélange de pollen et de nectar dilué (nommé par les anglo-saxons beebread ou pain d'abeille) elle va devenir une ouvrière. 
On savait que cette nourriture différenciée aboutit à des méthylations différenciées sur l'ADN de séquences régulatrices. Cela aboutit par régulation transcriptionnelle à la stimulation du développement de l'appareil reproducteur chez reines et à l'inhibition de ce développement chez les ouvrières.

Larves de reines d'abeille dans la gelée royale. (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Détermination_épigénétique_chez_les_abeilles#/media/File:Weiselzellen_68a.jpg)

Les auteurs d'un article récent viennent d'ajouter un étage à la cascade partant de la nourriture vers la régulation génétique. Ils ont découvert que ce sont des microARN produits par les plantes et présents dans le pain d'abeille qui inhibent le développement de l'appareil reproducteur des ouvrières. Les microARN sont des petits ARN (autour de 20 bases) non traduits qui inhibent la traduction des ARNm dont ils sont complémentaires. La gelée royale est une sécrétion glandulaire des abeilles et ne provient pas directement de plantes donc elle ne possède pas ces microARN. 
Pour faire leur démonstration, les auteurs ont nourri des larves de drosophile avec de la nourriture contenant les microARN présents dans le pain d'abeille et ils ont constaté une inhibition du développement de leur appareil reproducteur quand ces larves passaient à l'état adulte. Des ARN à la séquence aléatoire n'avaient pas cet effet. 

Un microARN a attiré particulièrement l'attention des chercheurs, miR162a. Ils ont montré qu'il inhibe tant chez l'abeille que chez la drosophile l'expression de TOR, une protéine impliquée au cours d'études précédentes dans la formation des castes chez les abeilles : il est plus exprimé chez les reines et moins exprimé chez les ouvrières. Ici, le modèle colle donc parfaitement : le pain d'abeille dont ne se nourrissent que les futures ouvrières leur apporte miR162a qui inhibe TOR et qui les amène vers le phénotype "ouvrières". Les reines ne mangeant que de la gelée royale, elles ne reçoivent jamais de miR162a.

Étonnamment des microARN ingérés semblent ne pas être dégradés dans l'intestin des larves et semblent passer dans l'hémolymphe. Puis ils peuvent rentrer dans les cellules où ils régulent la traduction. Il y a ici beaucoup d'étapes dont les mécanismes sont inconnus. Chez le nématode C. elegans, il a été montré qu'une protéine transmembranaire était capable de transporter des petits ARN de l'extérieur vers l'intérieur de la cellule. Également, de nombreux cas d'échanges de petits ARN entre espèces ont été documentés (entre des champignons pathogènes et des plantes, entre des bactéries et des nématodes...). Des plantes qui produisent des siARN (un équivalent des microARN) qui inhibent l'expression de gènes d'insectes ont présenté une résistance aux insectes qui les parasitaient habituellement. Bref, les petits ARN pourraient être des nouveaux acteurs d'importance pour les relations interspécifiques.


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